Le Méridional (28 Octobre 1991)

Mario Garibaldi : au nom du père

Charles Garibaldi était le spécialiste incontesté de Monticelli. Son fils publie aujourd'hui --en l'associant à la rédaction de l'ouvrage-- une superbe monographie consacrée à l'artiste...

Tout a commencé par un éblouissement. En 1913, un petit garçon, presqu'un adolescent, découvre, chez un camarade de classe, une collection de tableaux. Il ne connaît rien à la peinture mais, avec la foi de ses 13 ans, il promet de découvrir, un jour, le secret de cette lumière, de ces couleurs, de cette alchimie savante.

Charles Garibaldi, élève de 5P au "Grand Lycée" de Marseille, vient de découvrir Monticelli. Son condisciple Jean Rintz vient, sans le savoir, de lui ouvrir les portes d'un univers dans lequel, jusqu'à sa disparition en 1988, il trouvera toutes les joies.

Dans les mains d'un autre Garibaldi, Maria, les documents conservés précieusement, presque pieusement, retracent l'itinéraire de Charles Garibaldi, sen père. Pourtant, ce n'est pas lui que Mario veut mettre à l'honneur: conformément à ses voeux, perpétuant l'oeuvre de celui qui fut le plus grand expert de Monticelli, c'est le peintre qui, aujourd'hui, trouve enfin "sa" place, parmi les plus grands.

"Mon père voulait écrire ce qui serait l'ouvrage de référence sur Monticelli. Il avait dans ses archives et dans sa mémoire tout ce qui pouvait servir à défendre et à illustrer son génie. La mort l'a empêché de mener à bien ce projet... En publiant cette monographie(1), je ne fais que réaliser son rêve, avec la passion et l'humilité qui auraient été les siennes".

Déchirure

Mario Garibaldi a puisé dans les traces laissées par son père, dans les catalogues d'expositions par lui préfacés, dans les mille documents annotés, dans les carnets, dans les archives familiales, mais surtout, il s'est souvenu de conversations, d'anecdotes, de secrets livrés. Charles Garibaldi parlait de Monticelli comme de quelqu'un de très proche et son fils était là, écoutant, regardant, enregistrant inconsciemment les moindres détails.

Maria Garibaldi aurait pu prendre la succession de son père; de l'avis même de ce dernier il avait les connaissances, la finesse, la sensibilité requises pour entrer dans le cercle fermé des experts --tout cela est consigné dans un de ses petits carnets. Mais il y notait aussi son "opposition formelle" à ce qu'il exerce cette activité.
"Il ne voulait pas que, comme lui, je souffre toute ma vie de devoir me séparer de ce que j'aimais le plus... Vendre une oeuvre d'air: était une déchirure dont il a voulu me protéger".
Mario est devenu avocat parce que, dans la galerie de son père, enfant, il rencontrait souvent un jeune homme qui venait "prendre une leçon d'art" et qui s'appelait Paul Lombard... Pourtant, la passion a été contagieuse et lorsque, en 198G, les organisateurs de la magnifique rétrospective présentée à la Vieille Charité de Marseille demandent à Charles Garibaldi d'écrire à nouveau la préface du catalogue, c'est tout naturellement qu'il demande à son fils de. la cosigner. '71 ce moment, j'ai su que quelque chose se passait, qu'il me transmettait le flambeau, que je devais prendre le relais et qu'il me donnait à la fois la charge et la permission de continuer ses recherches sur Monticelli".

Découvertes

Mario Garibaldi, à son tour, est donc "entré en Monticelli". Et son travail a permis, en complétant celui de son père, d'aboutir à cet ouvrage exemplaire. Avec patience et obstination, en se plongeant dans les manuscrits de la Bibliothèque Nationale, il a pu faire toute la lumière sur certains points biographiques jusque là inexplorés. C'est ainsi que toute la vérité est faite sur la "nationalité italienne" de Monticelli, sur l'intervention de Cézanne à propos du Salon 1880, sur l'affaire du vallon de la Panouse, sur la volonté du peintre de montrer à l'exposition des "XX" de Bruxelles en 1886 --année de sa mort-- sa "Roche percée", etc...

La force de cette monographie tient autant aux textes --impossible de définir ce qui est l'oeuvre de Charles et ce qui appartient à Maria, le fils ayant voulu que les phrases du père se mêlent aux siennes--qu'aux illustrations. L'analyse des lettres de Van Gogh, la présence des oeuvres de Monticelli à Londres, Berlin ou Paris attestent son rôle prépondérant dans l'éclosion de l'art moderne et en font le peintre "charnière" par excellence; la reproduction de 169 peintures, appartenant souvent à des collections particulières, fait de ce "Monticelli" le plus bel hommage que l'on pouvait rendre à celui qui, des portraits académiques de ses débuts aux dernières toiles tourmentées, de la lumière des tètes galantes aux éclairages artificiels et "théâtraux" de ses ultimes oeuvres, a inventé un -monde qui pouvait éblouir le regard neuf et intransigeant d'un enfant de 13 ans. Et faire que grâce à cette première et définitive émotion, le monde découvre la grandeur d'un génie.

(1) Monticelli, par Charles et Mario Garibaldi. Collection "Découverte du XIXè siècle". Editions Skira. 800F

photo - Sur le bureau, la photo de Charles Garibaldi; dans les mains de son fils Mario, une de: dernières palettes de Monticelli. C'est grâce à elle que l'on a découvert le secret d( ces couleurs particulières: il incorporait du plâtre au blanc de plomb et de la terre au bleu outremer... (Photo Antoine GALASSO)

Le Méridionale - Samedi 26 octobre 1991 (Page 32)