VAN GOGH ET MONTICELLI : IDEE D'EXPOSITION


Une meilleure connaissance des relations de Vincent VAN GOGH avec l'oeuvre de MONTICELLI.


On ne peut manquer de s'interroger sur l'origine de la fascination que la peinture ainsi que le personnage d'Adolphe Monticelli (1824-1886) semblent avoir joué sur Vincent Van Gogh, qui, depuis son arrivée à Arles l'évoquera fréquemment dans ses lettres.
Fascination qui cède la place à une influence qu'il n'est pas exagéré de qualifier de déterminante eu égard à la teneur de la lettre que Vincent écrivit à Georges-Albert Aurier le 18 février 1890 pour le remercier de ses compliments :


"Cher Monsieur Aurier,

Merci beaucoup de votre article dans le Mercure de France, lequel m'a beaucoup surpris. Je l'aime beaucoup, comme oeuvre d'art en soi, je trouve que vous faites de la couleur avec vos paroles enfin dans votre article je retrouve mes toiles mais meilleures qu'elles ne le sont en réalité, plus riches, plus significatives. Pourtant je me sens mal à l'aise lorsque j'y songe que plutôt qu'à moi ce que vous dites reviendrait à d'autres. Par exemple à Monticelli surtout. Parlant de "Il est que je sache le seul peintre qui perçoive le chromatisme des choses avec cette intensité, avec cette qualité métallique, gemmique" s'il vous plaît d'aller voir chez mon frère certain bouquet de Monticelli -bouquet en blanc, myosotis et orangé- alors vous sentirez ce que je veux dire. Mais depuis longtemps les meilleurs, les plus étonnants Monticelli sont en Ecosse, en Angleterre. Dans un musée du Nord, celui de Lille, je crois, il doit cependant encore y avoir une merveille de lui, autrement riche et certes non moins française que le "Départ pour Cythère" de Watteau. Actuellement, Monsieur Lauzet est en train de reproduire une trentaine dé Monticelli. Ainsi, à ce que je sache, il n'y a pas de coloriste venant aussi droit et directement de Delacroix ; et pourtant est-il probable, à mon avis, que Monticelli ne tenait que de seconde main les théories de la couleur de Delacroix ; notamment, il les tenait de Diaz, de Ziem.

Son tempérament d'artiste à lui, Monticelli, cela me semble être juste celui de l'auteur du Décameron -Boccace- un mélancolique, un malheureux assez résigné, voyant passant la noce du beau monde, les amoureux de son temps, les peignant, les analysant, lui -le mis de côté-. Oh ! II n'imita pas Boccace, pas davantage que Henri Leys imita les primitifs.

"Eh bien, c'était donc pour dire que sur mon nom paraissent s'égarer des choses que vous feriez mieux de dire de Monticelli auquel je dois beaucoup. Ensuite je dois beaucoup à Paul Gauguin avec lequel j'ai travaillé durant quelques mois à Arles et que d'ailleurs je connaissais déjà à Paris. Gauguin, cet artiste curieux, cet étranger duquel l'allure et le regard rappellent vaguement le portrait d'homme de Rembrandt à la Galerie Lacaze -cet ami aime à faire sentir qu'un bon tableau doit être l'équivalent d'une bonne action, non pas qu'il le dise mais enfin qu'il est difficile de le fréquenter sans songer à une certaine responsabilité morale-. Quelques jours avant de nous séparer, alors que la maladie m'a forcé d'entrer dans une Maison de Santé j'ai essayé de peindre "sa place vide". C'est une étude de son fauteuil en bois brun rouge sombre, le siège en paille verdâtre et à la place de l'absent un flambeau allumé et des romans modernes".

Veuillez à l'occasion, en souvenir de lui, un peu voir cette étude laquelle est toute entière dans les tons rompus verts et rouges. Vous vous apercevrez donc peut-être que votre article eût été plus juste et -il me semblerait- en conséquence plus puissant -si traitant la question d'avenir "peinture des Tropiques" et la question de couleur vous y eussiez , avant de parler de moi , fait justice pour Gauguin et pour Monticelli." (1)

 


Si les rapports de Van Gogh et de Gauguin sont bien connus, il n'en va pas de même de ceux qu'il aurait pu avoir avec Monticelli qui paraissent considérablement plus énigmatiques.

En effet, Vincent arrive à Paris le 28 février 1886 alors que Monticelli, déjà gravement atteint d'hémiplégie, est à Marseille, sa ville natale, regagnée en 1870 lors de l'invasion prussienne qui l'avait fait fuir Paris où il s'était installé en 1863.

Monticelli mourra le 29 juin 1886, alors que Vincent vient à peine d'apprendre son existence et l'on peut dès lors s'interroger sur les circonstances dans lesquelles Vincent, qui n'a donc jamais vu l'homme, a pu connaître sa peinture et susciter la pertinente observation de Germain Bazin (2) :


"Monticelli est le chaînon nécessaire entre Delacroix et Van Gogh."


A l'époque où cette pensée fut émise, (1953), la plupart des lettres de Vincent Van Gogh étaient connues et y apparaissaient le nom d'Alexander Reid, ce marchand d'art écossais qui, un temps fit chambre commune à Paris avec Vincent chez Théo, et, leur fit partager son enthousiasme pour la peinture de Monticelli.

Il est du reste très vraisemblable que c'est par Alexander Reid que ceux ci furent amenés chez ledit Delarebeyrette où Vincent découvrit la peinture de Monticelli que connaissait déjà partiellement Théo, la maison Goupil où il était employé ayant détenu deux" Scènes de parc" en février 1886. (3 et 4)

Mais n'avait pas, semble-t-il, été mise en évidence avec l'importance qu'elle mérite, l'ampleur de la vision qu'a pu avoir Vincent sur la peinture de Monticelli.

La mesure de cette ampleur nous est donnée par les lettres (pour la plupart inédites) (5) de Joseph Delarebeyrette à Pierre Piquet, lequel était l'ami et joua le rôle " d'agent" de Monticelli à Marseille depuis le début des années 1880, lettres qui ont été pieusement conservées dans la famille dudit Pierre Piquet, et dont la petite-fille fut l'épouse de l'arrière petit-neveu... de Monticelli.

La lecture de ces lettres apprend tout d'abord qu'avant 1870, quand Monticelli était à Paris, c'était Joseph Delarebeyrette qui avait vendu des quantités relativement importantes de ses oeuvres à une clientèle anglo-saxonne qui appréciait fort la peinture que Monticelli faisait à l'époque.

C'est très certainement chez Delarebeyrette encore que sont venus s'approvisionner les marchands et amateurs anglo-saxons, après qu'en 1882 , celui-ci soit venu à Marseille renouer avec Monticelli, qu'il croyait mort depuis son départ brutal de Paris en 1870.

Ces lettres apprennent par ailleurs qu'à l'époque de la visite des frères Van Gogh au magasin de Joseph Delarebeyrette, 43 rue de Provence à Paris, visite que l'on peut, comme on le verra, situer sans l'ombre d'un doute au plus tard à la fin du printemps 1886, ce dernier était déjà gravement malade ; il n'allait du reste pas survivre plus de trois mois à Monticelli puisqu'il disparaîtra à la fin du mois de septembre 1886.

C'est donc de son épouse, dont Vincent transformera parfois le nom d'une manière tout à fait plaisante, en l'appelant par exemple De la Roquette, et de son fils, Gabriel, que les frères Van Gogh apprirent une histoire de Monticelli forcément imparfaite et non exempte de certaines exagérations ou déformations.

En particulier, il semble que les Delarebeyrette aient colporté une propension à boire de Monticelli que Vincent ne tardera pas à justement remettre en cause, car, s'il fut un bon vivant jamais Monticelli ne sombra dans l'alcoolisme dont on confondit les manifestations avec les marques du mal qui finalement l'emporta aphasique.


Mais surtout, ces lettres établissent que Vincent Van Gogh a pu avoir une très large vision sur l'oeuvre de Monticelli.


En effet, selon les termes de la lettre de Gabriel Delarebeyrette en date du 1er Février 1886, il apparaît qu'à l'époque où les frères Van Gogh se rendirent rue de Provence, il y avait là un nombre important d'oeuvres de Monticelli :

"Hélas, à Paris, nous n'avons pas la même facilité que vous d'écouler les Monticelli. Nous en avons une quarantaine en magasin, et aucun s'en va".

Ainsi donc l'amplitude de la vision qu'eut Vincent de l'oeuvre de Monticelli l'amena à en posséder une connaissance approfondie qui s'avéra déterminante sur sa vie et son travail.

On sait en effet que ce fut véritablement une révélation : malgré leur peu de moyens, les frères Van Gogh (c'est Théo qui finançait) allaient acquérir, en 1887, (6) quatre peintures de Monticelli dans plusieurs des genres pratiqués par lui qu'il semble possible d'identifier ainsi qu'il suit : La Femme au puits, Arabes et Cavaliers , La Femme à l'ombrelle et Réunion de Cavaliers dans un bois.

La récente exposition consacrée à Théo Van Gogh a permis d'apprendre qu'un cinquième tableau L'Italienne, a été offert à Théo en novembre 1886 par Boussod & Valadon (7).

Quant au fameux Bouquet dans un vase à trois pieds, dont Vincent parle à Aurier , il pourrait être le tableau que Reid leur a offert et dont Vincent parle à Théo dans la lettre du mois de février 1888 : "Il nous a fait cadeau d'un très beau tableau" (lequel tableau, soit dit entre parenthèses, on avait l'intention d'acquérir)" (8).

Si, comme il paraît, le cadeau fait par Alexander Reid n'est pas intervenu immédiatement dès la première visite des frères Van Gogh chez Delarebeyrette, et d'autant plus grande l'importance de l'adhésion de Vincent à cette peinture, en raison de la transformation apparue dans son travail, - notamment dans ses Bouquets de fleurs -par exemple les "Zinnias ", "Glaieuls" et autres "Pivoines" qui datent de l'été 1886 dont la similitude du thème et la proximité du faire sont criantes d'évidence.

Le fait que Vincent n'aurait pas disposé, dès l'été 1886 du "Bouquet" de Monticelli serait de nature à accentuer encore son extraordinaire perception de cette oeuvre puisqu'il est possible de situer dans le temps les oeuvres de la fin du printemps et de l'été 1886, selon qu'elles ont été réalisées "avant" ou "après" la visite chez Delarebeyrette et sa rencontre avec la peinture de Monticelli.

Enfin, la découverte des oeuvres de Monticelli allait également être l'un des éléments décisifs pour Vincent de mettre à exécution une idée conçue depuis longtemps : "Mon plan, c'est d'aller dès que je pourrai, passer quelque temps dans le Midi, où il y a plus de couleur, plus de soleil." (9)

C'est ainsi qu'après avoir, vers le 20 février 1888, quitté Paris pour Arles, qui semble n'être qu'une étape sur la route de Marseille, (10) il va évoquer Monticelli dans sa toute première lettre à Théo, dès le lendemain de son arrivée : "Un antiquaire où j'entrais hier dans la même rue ici, me disait connaître un Monticelli." (11)

Et là, dans le Midi, Vincent va prendre conscience qu'il est en train de trouver "sa vérité", et il lui apparaîtra que cette vérité est aussi celle de Delacroix et de Monticelli : "Je n'avais pas pensé que j'aurais tellement trouvé vrai Monticelli et Delacroix en quittant Paris." (12). Il va rattacher Monticelli directement à Delacroix, tant en ce qui concerne " le contraste simultané des couleurs, de leurs dérivés, de leurs harmonies" (Ibid.), que l'emploi "de la couleur plus arbitrairement pour m'exprimer fortement." (13). Sa recherche correspondant tout à fait à cette "couleur suggestive, que Delacroix et Monticelli , tout en n'en ayant pas parlé. ont faite." (14)

Si chez Delacroix il a puisé les lois des couleurs, des contrastes simultanés, des emplois de complémentaires, c'est bien chez Monticelli qu'il a trouvé cette matière empâtée , vivante, colorée, qui correspond si étroitement avec son idée de toujours : "Le vrai dessin c'est de modeler avec la couleur." (15)

Et il se met, lui aussi , à empâter suivant l'exemple de Monticelli : "Les deux voitures très colorées, vert, rouge, roues jaune, noir, bleu, orangé. Toile de 30 toujours. Les voitures sont peintes à la Monticelli avec des empâtements." (16) ; "J'ai une toile de cyprès avec quelques épis de blé, des coquelicots, un ciel bleu qui est comme une étoffe bariolée écossaise ; celle-là qui est empâtée comme les Monticelli et le champ de blé avec le soleil, qui représente l'extrême chaleur, très empâté aussi." (17).

Puis, va survenir un phénomène d'identification, Vincent devenant persuadé qu'il poursuit et prolonge le travail de Monticelli dont, à défaut de ses autres contemporains, il cherche les traces et assure la continuation. Il va confier à sa soeur , en ce mois de septembre 1888 :
"Je pense moi ici énormément à Monticelli. C'était un homme fort- un peu toqué et même beaucoup- rêvant soleil et amour et gaieté, mais toujours embêté par la pauvreté - un goût extrêmement raffiné de coloriste, un homme de race rare continuant les meilleures traditions anciennes . Il meurt à Marseille assez tristement et probablement en passant par un véritable Getsémani. Eh bien moi je suis sûr que je le continue ici comme si j'étais son fils ou son frère (...) Reprenant la même cause, continuant le même travail, vivant de la même vie, mourant de la même mort. (...) (18)
Quand, un jour de l'automne 1889, il aura le sentiment d'un aboutissement dans sa recherche, c'est encore à Monticelli qu'il pensera : " J'ai quelques études, entre autres un mûrier tout jaune sur terrain pierreux, se détachant sur le bleu du ciel, dans laquelle étude je crois que tu verras que j'ai trouvé la trace de Monticelli." (19)

Monticelli a donc été le modèle, l'exemple, la référence-même à laquelle ses propres oeuvres devaient se mesurer : "J'ai fini moi aussi une toile d'une vigne toute pourpre et jaune, avec des figurines, bleues et violettes et un soleil jaune. Je crois que tu pourras mettre cette toile à côté des paysages de Monticelli." (20). Il s'agit de La Vigne rouge conservée au Musée Pouchkine

 


L'EXPOSITION PROJETEE


Tout en s'attachant à réaliser le voeu de Vincent et de présenter La Vigne Rouge parmi quelques paysages de Monticelli, l'exposition proposera une reconstitution de l'ensemble des 40 oeuvres de Monticelli que Vincent a pu contempler chez Delarebeyrette.


Outre les oeuvres acquises par les frères Van Gogh aujourd'hui conservées au Rijksmuseum Vincent Van Gogh à Amsterdam, et dont la présence chez Delarebeyrette est certaine, est possible d'identifier avec une certaine vraisemblance des oeuvres grâce à la similitude que l'on retrouve dès les Bouquets de fleurs peints par Vincent pendant l'été 1886, ainsi qu'aux traces dont foisonnent les lettres de Vincent.


Ceci aboutira au rassemblement d'une quarantaine d'oeuvres de Monticelli issues de tous les genres pratiqués par l'artiste : portraits, bouquets de fleurs, natures mortes , paysages , scènes de genre et scènes de parc, et à leur rapprochement avec des oeuvres de Vincent Van Gogh choisies dans la période suivant immédiatement la découverte de la peinture de Monticelli et certaines postérieures dont les liens de parenté paraissent encore suffisamment prononcés.

 

Notes


N.B. : les lettres concernant Vincent Van Gogh sont citées avec les références de leur édition en trois volumes chez Bernard Grasset en 1960.

  • (1) Lettre de Vincent à Albert Aurier - 626a F.
  • (2) Préface de l'exposition "Monticelli et le baroque provençal" Paris Orangerie et les Tuileries 1953
  • (3) Aaon Sheon Catalogue de l'Exposition Monticelli : " Monticelli his contemporaries his influence " Piettersburg Washington Amsterdam 1978/1979 - page 82
  • (4) Catalogue de l'exposition Théo Van Gogh "Marchand de tableau, collectionneur et frère de Vincent" Amsterdam-Paris 2000
  • (5) Alauzen-Ripert : "Monticelli", Bibliothèque des Arts. Paris 1979 pages 447 et 448 où une lettre est reproduite ainsi que des passages des autres. Mario et Charles Garibaldi - Editions Skira 1991 - pages 160 et 205
  • (6) Frances Fowle : "Vincent's Scottish twin : Glasgow art dealer Alexander Reid", Van Gogh Muséum Journal 2000 page 94 ; dans la note 18, F. Fowle exprime sa reconnaissance à Richard Thomson et Chris Stolwijk pour cette information
  • (7) idem note 4 exposition Amsterdam-Paris
  • (8) Lettre de Vincent à Théo de Février 1888
  • (9) Lettre de Vincent à sa soeur - WIN.
  • (10) Ronald Pickvance Exposition "Van Gogh en Arles" Metropolitan Museum of Art New-York - 1994
  • (11) Lettre de Vincent à Théo - 463 F.
  • (12) Lettre de Vincent à Théo - 542 F.
  • (13) Lettre de Vincent à Théo - 520 F.
  • (14) Lettre de Vincent à Théo - 539 F.
  • (15) Lettre de Vincent à H.M. Levens - 459 a A .
  • (16) Lettre de Vincent à Théo - 552 F.
  • (17) Lettre de Vincent à Théo - 597 F.
  • (18) Lettre de Vincent à sa soeur - WSF
  • (19) Lettre de Vincent à Théo - 609 F
  • (20) Lettre de Vincent à Théo - 561 F.